Par Virginie Hours

Linder
???????? ????????????????, 2008 (extrait)
© L’artiste, Courtesy Stuart Shave/Modern Art, London
Photo Todd White & Son

Le musée Rath est consacré aux expositions de prestige et dépend du musée d’Art et d’Histoire de la ville de Genève. Son nom a été conservé en mémoire des sœurs Rath dont la générosité permit l’ouverture du bâtiment au public en 1826.  Pluridisciplinaire, il accueille des expositions aussi bien archéologiques que littéraires.

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L’interdisciplinarité est la grande spécificité du musée Rath et c’est de nouveau ce qui fait l’intérêt de l’exposition « Le retour des ténèbres – l’imaginaire gothique depuis Frankenstein » qui débutera le 2 décembre 2016.

Oubliez l’image classique des adolescents vêtus de noir ou de l’architecture néo-médiéval et venez découvrir ce mouvement artistique très riche et toujours d’actualité !

L’idée de l’exposition est apparue en 2014 avec l‘inauguration de la statue de la créature à Plainpalais organisée par le groupe d’artistes de Genève KLAT à l’occasion de la Nuit des Musées. Le groupe KLAT avait alors demandé aux différentes institutions d’exposer des objets qui dateraient de l’année de la rédaction de la première version du « Frankenstein » de Mary Shelley, 1816, et de les mettre en scène. Le musée d’Art et d’Histoire avait alors exposé des paysages de Töpffer, dont un paysage du Mont blanc. L’idée a donc germé de pousser plus loin le projet à l’occasion du bicentenaire de « Frankenstein » et de penser à une exposition sur le mouvement gothique à travers les différents moyens d’expression artistique.

Car chacun a sa vision personnelle du gothique…

La première partie de l’exposition est donc consacrée « naturellement » aux circonstances qui ont entouré la création littéraire de « Frankenstein », sachant qu’en réalité, Mary Shelley n’a pas lancé un mouvement nouveau avec son œuvre mais a renouvelé un mouvement gothique qui, né sans doute autour de 1764 avec « le château d’Otrante » d’Horace Walpole, commençait à s’essouffler. Mary Shelley s’est donc inspirée de nombreux poèmes et récits perçus déjà comme gothiques mais sa différence consistera dans son souhait de « faire comme si c’était vrai » nous explique Justine Moeckli, commissaire de l’exposition avec l’artiste Konstantin Sgouridis du KLAT.

Karen Kilimnik
???????????????? ????ℎ???????????????????? ???????????????????????????? ????????????????????????????????????????????????, 2001
Huile soluble à l’eau sur toile
© L’artiste, Courtesy Cranford Collection, London
Photo Richard Ivey

Elle va donc basculer du fantastique vers la science-fiction. Pour elle, il faut que ses lecteurs croient en son récit, en ses personnages, en leurs sentiments et en cela, elle renouvelle le genre. Elle va donc s’inspirer de son séjour à Genève, de son expérience des Alpes, ces lieux si « exotiques » pour les anglais de cette époque. Les Alpes ne sont-elles pas considérées comme « un beau effrayant » ?

Dans son roman, la météorologie et les éléments naturels prennent une place importante en raison des conditions particulières de  1816. En effet, le climat joue d’abord un rôle pratique puisque, à cause de cette « année sans été » et ne pouvant profiter des excursions ou d’une vie en pleine air, Mary Shelley, Lord Byron et leurs amis se lancent dans un concours de rédaction de textes d’horreur, Lord Byron rédigeant alors son magnifique poème « Darkness ». Mary Shelley va également utiliser les éléments naturels pour rythmer son histoire : la créature ne prend-elle pas vie lors d’une nuit d’orage épouvantable ? A sa suite, les artistes vont puiser leur inspiration dans les éléments (sachant que les études météorologiques datent de cette période avec les premiers relevés de température, la nomination des nuages, etc.) et dans la nature. « Nous assistons donc au début de la modernité avec une société plus laïque qui gère ses angoisses, ses guerres, ses traumatismes, en utilisant une thématique qui revient de décennie en décennie jusqu’à aujourd’hui » constate Justine Moeckli.

Margaret Atwood (texte) Charles Pachter (illustrations)
????????????????????ℎ???????? ????o???? ????o????????o???? ????????????????????????????????????????????????, 1966
Bloomfield Hills (Michigan) : C. Pachter
Ottawa, Bibliothèque et Archives Canada, AMICUS 11278586
© Margaret Atwood; Charles Pachter.
Reproduit avec la permission de House of Anansi Press Inc.; Toronto

De quelle œuvre exposée Justine Moeckli est-elle la plus fière ?

« Frank on the rock » de l’artiste américaine Dana Schutz qui a inventé le personnage de « Frank » lors de ses premières expositions en solo. Il est le témoin de ses errances et symbolise le lien entre 1816 et 2016 avec des traces qui ne sont pas reconnaissables au premier coup d’œil… »

La deuxième partie de l’exposition évoque les autres auteurs gothiques de la fin du XIXème siècle, comme Edgard Allan Poe, Baudelaire, ou les nombreux graveurs qui développent une imagerie assez sombre, puis du XXème siècle avec l’utilisation du mouvement dans un sens plus large mais avec des mêmes thématiques comme la fragmentation du corps humains, symbole des « questions d’identité ». Ainsi, le docteur Victor Frankenstein construit sa créature en assemblant des parties de cadavres qui « séparées étaient belles mais assemblées, forment un monstre ». Or, cette problématique revient à la fin de la première guerre mondiale avec les « gueules cassées », les œuvres d’Otto Dix par exemple ou l’apparition des premières prothèses, sujets très présents dans l’iconographie des années 20. Et aujourd’hui, les artistes continuent de travailler sur ce concept de « nouveau corps fabriqué ».

L’autre thématique initiée par Mary Shelley est celle du « dernier homme », dans le livre, la créature disparaît dans les pôles…, sujet qu’elle reprend dans son livre écrit 10 ans plus tard, « the last man » et que sous-tend déjà le poème de Byron « Darkness ». Cette idée d’une disparition de l’Humanité revient dans les années post-seconde guerre mondiale avec l’apparition du risque nucléaire par exemple.

« On s’est détaché du pur gothique de style pour en dégager des choses plus présentes dans l’esprit de l’homme moderne » nous explique Justine Moeckli. Pendant longtemps, on a cru que le modernisme ferait disparaître le gothique mais en réalité, des auteurs restent gothiques dans la littérature moderne. Il n’y a pas de réelle rupture. Le mouvement gothique existe toujours aujourd’hui, notamment dans la culture des jeunes et la littérature.

Allez donc voir cette exposition qui, très riche de prêts divers et internationaux, nous montre comment l’inspiration gothique traverse les temps et les modes…

LE RETOUR DES TÉNÈBRES

L’imaginaire gothique depuis Frankenstein

2 décembre 2016 – 19 mars 2017

Musée Rath

Place de Neuve 1,

1204 Genève

Ouvert de 11h à 18h, fermé le lundi, nocturne le 2e mercredi du mois jusqu’à 19h.

Ouvert uniquement durant les expositions temporaires

Entre 10 et 20 chf selon les expositions. Entrée libre jusqu’à 18 ans et le 1er dimanche du mois