Sonia Jebsen – avril 2025
Nous sommes ravies de vous présenter l’entretien avec l’artiste Sabeth Holland, réalisé en collaboration avec iazzu.
Ce partenariat passionnant est dédié à mettre en lumière les artistes en comblant l’écart entre les régions germanophones et francophones de la Suisse et au-delà. En renforçant ces liens, nous visons à accroître la visibilité et à créer de nouvelles opportunités pour des talents exceptionnels.
Chaque mois, vous découvrirez les moments forts qui enrichissent la scène artistique et célèbrent ses voix remarquables. Restez connecté(e)s et profitez de la lecture !
Infos Bio
Née en 1959 à Altstätten (Saint-Gall)
A grandi dans un milieu artistique
Formation d’enseignante d’allemand et anglais
Artiste autodidacte et indépendante depuis 1991, elle pratique la peinture, la sculpture. Elle collabore et expose dans des galeries en Europe, en Amérique et en Asie
Sonia Jebsen : Vous avez grandi dans une famille passionnée d’art et de culture. Parlez-nous de l’impact positif sur votre éducation ?
Sabeth Holland : Mes parents étaient très créatifs et se sont entourés d’un groupe impressionnant d’artistes (peintres, sculpteurs, acteurs, écrivains, compositeurs, musiciens). J’ai aimé apprendre des adultes en observant leurs réactions et leurs discussions. Cela m’a permis la découverte de techniques diverses au contact des artistes locaux et internationaux comme le professeur Ernst Fuchs, Friedensreich Hundertwasser, Peter Bichsel.
Mes parents analysaient systématiquement les œuvres et m’expliquaient leur histoire. Je me suis laissée guider par ces informations et j’ai créé des images intérieures très vivantes. Mes artistes préférés étaient Angelika Kauffmann, Paul Klee. Jean Tinguely et notre sculpteur local Mädy Zünd.
J’ai commencé le dessin très jeune. Mes parents ont collectionné toutes mes œuvres que je conserve comme un précieux trésor. À la maison, la création était libre avec de l’argile, écrire des histoires ou des poèmes, fabriquer des vêtements et des chaussures, monter des pièces de théâtre. Mon plus grand plaisir était de passer tout l’après-midi au bord du Rhin avec l’une de mes camarades de classe. Là, nous construisions des mondes entiers dans le sable, avec des fleurs, des pierres et des objets laissés par les dernières crues.
Curieuse de nature, autodidacte par choix, Sonia partage sa passion pour l’art et les artistes situés en Suisse et en France voisine. Vous la rencontrerez sans doute déambulant dans des galeries, des musées, des espaces d’exposition ou des ateliers d’artistes, appareil de photo en main. Son but : diffuser les informations par l’écriture, l’image et créer du lien entre les différents acteurs du monde de l’art de la région lémanique.
Sonia Jebsen : Vous avez enseigné l’allemand et l’anglais à des enfants en primaire. Parallèlement, vous n’avez jamais cessé de développer votre art. A quel moment précis avez-vous décidé d’en faire une priorité ?
Sabeth Holland : J’ai une formation d’enseignante en langues étrangères que j’ai complétée par des diplômes dans ces matières. En 2001, suite à l’offre pour un poste de responsable de l’enseignement de l’anglais, j’ai finalement opté en faveur de mon art. En abandonnant mon gagne pain, je prenais un risque financier élevé avec une jeune famille à élever. Au début, ma crédibilité d’’artiste a été mise en doute par certains médias et journaux. Cependant. j’ai eu la chance d’être introduite par des amis et des collectionneurs à des galeristes ou qu’ils viennent vers mois. C’est un privilège !
Sonia Jebsen : C’est un fait, les femmes artistes sont souvent confrontées à des difficultés pour élever leurs enfants et développer leur travail ? Comment avez-vous géré les deux ?
Sabeth Holland : Ce fut un véritable défi ! En 1989, j’ai commencé à travailler sur la table de la cuisine, alors que ma deuxième fille était un bébé et que sa sœur courait partout, et plus tard, elles utilisaient notre appartement comme terrain de jeu. Après ma première exposition en 1991 et la naissance de ma troisième fille, j’ai partagé un atelier à proximité. Mon mari s’occupait des trois enfants quand j’y passais du temps le soir et les week-ends. Avec mes amies, nous avons créé un cercle de soutien mutuel pour la garde des enfants. Mon temps oscillait entre la garde de huit enfants et le reste du temps était consacré à l’art et mes cours le soir.
L’organisation était drastique, il fallait emballer, marcher, pousser et négliger tout le reste. Mais je me sentais tellement riche et comblée par mon emploi du temps chargé et les beaux moments que nous partagions ensemble dans l’intimité. Nous étions tous convaincus d’être sur la voie d’une réalisation essentielle, à savoir mon art.
Sonia Jebsen : Vous êtes éclectique en matière de médiums. Pensez-vous qu’un(e) artiste doit se confronter à différentes pratiques ?
Sabeth Holland : Comme vous l’avez lu ci-dessus, j’ai découvert la panoplie de multiples supports et matériaux dès mon plus jeune âge. Il me paraît naturel de créer en utilisant le meilleur matériau pour atteindre un certain contenu, une expression, un objectif… Je suis très impressionnée lorsqu’un artiste s’exprime avec un seul médium . Pour moi, ce serait restrictif, voire ennuyeux. En maîtrisant plusieurs techniques et médias, votre visibilité s’accroît, vos défis deviennent plus complexes, ce que je recherche vraiment.
Sonia Jebsen : Regarder vos œuvres, c’est comme plonger dans un arc-en-ciel. Pouvez-vous décrire votre relation avec les couleurs ?
Sabeth Holland : J’ai été exposée à des vies influencées par la tristesse et la dépression. Très tôt, j’ai moi-même été affectée par les « ténèbres ». Ma situation s’est améliorée lorsque j’ai rencontré mon défunt mari et que nous avons eu notre première fille. Avec le deuxième enfant est apparu le besoin insatiable d’exprimer mon bonheur et l’artiste qui sommeillait en moi a pris une place fondamentale.
Les couleurs vives et toutes les vibrations existent pour moi. J’ai créé mes œuvres à partir du « pays de l’arc-en-ciel ». Je crois que la vie est faite de joie, d’amour et de don. C’est ma mission de répandre et transmettre. Au début, je me suis tenue à l’écart des couleurs sombres, craignant qu’elles n’attirent la négativité. Mais, j’ai appris à mes dépens, au travers d’événements tragiques. J’ai perdu mon époux dans un accident de voiture alors que j’étais à ses côtés. Malgré tout, j’ai transformé mon chagrin en joie de vivre. À mon grand étonnement, mon retour à la création a engendré des œuvres plus lumineuses et plus légères que jamais. J’ai préparé une exposition intitulée « Rainbow’s Paradise » et les formes de cygnes ont pris vie dans mon art.
Sonia Jebsen : Votre art peut être qualifié d’hyper positif, reflète t’il une nature optimiste ?
Sabeth Holland : Désespérément optimiste, je crois que la vie est courte et que je suis là pour donner. Malgré mes forces limitées, je crois fermement que le bien et la gentillesse peuvent être plantés afin qu’ils croissent et se répandent. Grand-mère de trois petits garçons, cela me semble encore plus important. Je me dois de leur montrer l’exemple. Il y a toujours de la place pour la transformation. Ce qui peut sembler insurmontable s’atténuera avec des stratégies créatives et de l’endurance.
Sonia Jebsen : Les animaux et les fleurs sont récurrents dans votre art. Pouvez-vous décrire votre lien avec la nature ?
Sabeth Holland : Ma principale source d’inspiration provient des émotions suscitées par la perception globale de mon environnement : les gens, les animaux, les plantes, les cinq éléments, les six sens et les sentiments. Ce que vous voyez comme des « fleurs » ou des « animaux » dans mon art ne se suffit jamais à lui-même, mais symbolise un message universel et positif. Lorsque vous regardez mes « peintures florales », elles sont truffées de petits animaux, des personnes, des lutins. Et mes sculptures animales racontent des histoires de contes de fées qui sont devenues réalité.
Souvenez-vous de l’enfant intérieur qui est en moi. La nature, dans son sens le plus large, est un paradis très précieux et le début de l’avenir. Mes grands-mères m’ont appris qu’il y a un échange entre l’environnement et les gens, alors soyons attentifs et chérissons les cadeaux autour de nous.
Sonia Jebsen : Quelle est votre définition de l’artiste ?
Sabeth Holland : C’est un dévouement, pas une profession. Vous êtes un artiste lorsque la passion et la détermination alimentent votre travail, lorsque votre créativité est animée par l’amour, inspirant et donnant vie à de nouvelles œuvres. Il n’y a pas d’artistes nés, vous le devenez avec le temps et les sacrifices.
Les artistes sont au service d’une cause supérieure, craignant toujours de perdre leurs capacités du jour au lendemain. Mais la vulnérabilité et la sensibilité vous aident à apprendre et à grandir. En fait, on ne peut être artiste qu’avec du recul. Par le travail dans la création, vous êtes un chercheur qui explore ses limites.